Retour sur l'avarie de drisse de Mike Golding

Publié le par Nam

Dans la journée de lundi Mike Golding (Ecover) a perdu une cinquantaine de miles sur ses 2 concurrents directs Jean Le Cam et Vincent Riou. Ce retard est quasi comblé aujourd'hui. Mais revenons sur cette avarie survenue à Mike et qui est à l'origine de cette perte de 'contact', elle permet de prendre une nouvelle fois la mesure de l'exploit tant technique, humain que sportif de ce tour du monde en solitaire sans escale et sans assistance qui s'appelle Vendée Globe.

 

Mike Golding sur Evover

 

 

Qu'est-il arrivé à Mike ?

 

Lundi 10 janvier 2005 à l'aube Mike, alors à l'attaque dans des petits airs, voit sa grand-voile s'abattre brutalement sur le pont. Imaginez la scène : le bateau est bien réglé et file à pleine vitesse ... d'un coup le ciel vous tombe sur la tête car un grand brut retenti : la grand-voile est en train de s'affaler toute seule en provoquant les effets "collatéraux" suivants :

- la vitesse du bateau chute

- côté bruit : le fracas de la voile qui descend se mélange avec la perception du changement de fréquence du doux glissement des vagues le long de la coque

- l'assiette du bateau (les marin appèlent cela gîte), c'est à dire l'angle par rapport à l'horizontal change brusquement (plus la même pression dans les voiles)

- visuellement : l'intensité de lumière perçue augmente certainement aussi puisque "l'écran" que représente la grand-voile par rapport au soleil ou au ciel étoilé, s'il fait encore nuit, disparaît.

 

Voilà autant de stimulus qui, que vous soyez endormi ou éveillé, ont de quoi vous faire monter immédiatement le palpitant en fréquence. Le marin qui navigue "écoute" son bateau : tous ses sens en éveil permanent. Sur une avarie de ce type, somme toute bénigne à ce niveau de la compétition (lire la suite), si j'ose ainsi m'exprimer "vous en prenez dans tous les sens".

 

Tous ces stimulus réels ne sont certainement pas analysés sur l'instant avec autant de précision par le skipper en revanche ils génèrent un effet de bord psychologique qui lui est immédiat : un énorme stress décuplé par l'état d'esprit de Mike au moment de l'avarie (son ambition est simple il est clairement là pour gagner, il ne s'en est jamais caché, et c'est ce lundi l'opportunité pour lui de prendre définitivement la tête de la course). Pour rappel Mike annonçait au départ des Sables qu'il ne voyait que 2 concurrents sur la 1ière marche du podium de ce VG : lui ou éventuellement Roland Jourdain (Sill).

 

En résumé tout ce qui précède doit se concentrer dans la tête d'un homme pour produire instantanément dans la langue de Shakespeare l'équivalent d'un tonitruant "et merde qu'est-ce qui se passe !!?"

 

 

C'est quoi une drisse de grand-voile ?

 

Je ne vous fais pas l'affront de vous dire ce qu'est une grand-voile, il y a très fort à parier que le cas échéant vous auriez lâché prise avant d'arriver à ces lignes en pensant "il nous les brisent menu Nam avec son Vendée Globe non officiel !".

 

Venons-en donc à la définition d'une drisse de grand-voile. Une drisse c'est une corde qui permet de monter ou descendre une voile. Pour monter la voile on tire la corde, pour descendre la voile on lâche la corde le poids de la voile et le phénomène de gravité (bien utile sur la planète terre pour les feignants dont je suis) faisant le reste [bien sûr il y a des exceptions comme sur les vieux gréements où parfois les voiles ne descendent pas toute seule : dans ce cas il y a une corde inverse à la drisse : le hale bas]. Précision : la drisse de grand-voile part du haut de la grand-voile passe dans une poulie en tête de mat (on dit réa en marine) puis descend le plus souvent à l'intérieur du mat pour arriver au pied de mat où on la manoeuvre. Là aussi il manque des bouts pour être exacte (poulie double, renvoi sur le pont ...) mais arrêtons ... vous en savez assez pour comprendre la suite ...

 

 

Comment Mike réagit et répare ?

 

Selon moi Mike Golding réagit en 3 temps à cette avarie

Premièrement. Mike Golding n'est pas un novice donc lors de la conception du bateau il avait prévu le coup (et aussi le coût) : il possède une seconde drisse de grand-voile déjà à poste, il procède donc au remplacement et re-hisse la grand-voile. Temps perdu estimé : 1/2 heure maxi.

 

Deuxièmement. Mike Golding est anglais (et pas seulement un héro de James Bond, quoique cela ne soit pas incompatible) donc il se prépare un thé, lire l'article d'hier : http://nam.over-blog.com/article-57509.html . S'il prend un thé c'est surtout que l'urgence est passé, d'ailleurs il traîne le même problème avec une drisse de voile d'avant qui a claqué il y a plusieurs jours, il l'a remplacée de la même manière et n'a toujours pas réalisé sa réparation réelle ... car en fait il n'aime pas trop aller faire le singe en haut du mat.

 

Troisièmement. Mike Golding conseillé par son thé décide que c'est le jour ou jamais de réparer la drisse de GV (GV = Grand-Voile et VG=Vendée Globe pour ceux qui ne lirait pas tout ce blog) : les conditions sont clémentes, l'ascension sera optimisée et permettra de faire d'une pierre 2 coups (drisse GV + drisse tourmentin). Et c'est sur cette dernière opération seulement qu'il perd 50 miles sur ses adversaires Vincent Riou et Jean Le Cam car pendant qu’il fait l’ascension la prudence est de mise : le bateau doit être stable quitte à changer la route ou diminuer la voilure.

 

 

2 Techniques pour monter au mat

 

J'ai déjà parlé de certaines astuces utilisées par les skippers pour monter au mat, lire l'article de ce blog parlant de l'ascension d'Anne Liardet sur http://nam.over-blog.com/article-35142.html . Voici encore quelques précisions. Il existe 2 grandes écoles pour monter au mat :

 

-  équiper la grand-voile de sangles au niveau du guindant (le long du mat), ainsi GV hissée il est possible de monter un peu à la manière d'une échelle de cordes (c'est l'équipement que possède Conrad sur Hellomoto). Avantage : solution simple et éprouvée. Inconvénients : on ne monte pas plus haut que le sommet de la voile (par exemple si GV bloquée au 3ième ris : il est impossible de monter plus haut), les sangles diminuent les performances de la voile (poids, écoulement turbulent près du bord d'attaque)

- second solution : grimper avec une culotte avec une technique d'ascension proche de l'alpinisme.

 

J'avoue ne pas savoir pour quelle technique Mike a opté dans tous les cas ne pas oublier de mettre son casque car les chocs contre le mat sont inévitables et doivent faire plutôt très mal.

 

 

Annexe : le choix de doubler les drisses et ses conséquences (sujet technique : niveau 1 débutant)

 

J'ai précisé plus haut que le fait de disposer de drisses de rechange à poste prêtes à l'emploi comme c'est le cas de Mike Golding avait un coût financier, c'est certain. Imaginez une seconde que vous êtes en train de concevoir/préparer votre bateau pour le Vendée Globe et que votre sponsor n'a fixé aucun plafond de dépenses (pure utopie bien sur) et bien la décision d'équiper le bateau de ce système de double drisses n'est pas plus simple pour autant car elle est aussi "stratégique" : les conséquences de ce choix sont multiples avec du pour et du contre. Faute de compétence je ne serais ici dresser la liste exhaustive mais voilà quand même quelques unes des contraintes qu'apporte cette sécurité supplémentaire, juste pour illustrer que le Vendée Globe est une régate planétaire qui se gagne dans la tête (on le savait déjà) mais surtout bien avant le départ.

 

- mat de section plus épaisse car il faut de la place pour laisser passer les drisses à l'intérieur. Conséquences : plus de matière (le carbone) donc forcément plus cher, plus de prise au vent dans les rafales à 70 noeuds que vous ne manquerez pas de rencontrer dans le Sud.

 

- plus de poids dans les hauts : poids de la drisse elle-même mais aussi de l'accastillage qui va avec (réa, taquet pour la maintenir en place au 'repos' ...). Je vous rappelle que la chasse au poids, et c'est encore plus vrai dans les "hauts", est une religion sans concession pratiquée sur tous les bateaux de course.

 

 

 

En guise de conclusion à cet article je voudrais attirer votre attention sur 2 faits qu'illustre parfaitement cette avarie.

 

- Mike est un grand bonhomme : il ne s'est pas laissé abattre par l'adversité, certainement encore sous le choc il a renvoyé immédiatement la GV; il a réfléchit et décidé que le moment opportun pour l'ascension (qui n'avait aucun caractère d'urgence je vous le rappelle) était tout de suite : renonçant à voler vers la première place promise pour remettre en état le bateau et retrouver tout son potentiel. Pour couronner cette réactivité Mike a pris les commandes de la flotte ... juste un peu plus tard que prévu initialement.

 

- Enfin c'est l'occasion de tirer un grand coup de chapeau à toutes les équipes techniques des concurrents car s'il y en ce moment un bonhomme seul à bord d'Ecover en tête au milieu de l'Atlantique et bien ce genre d'avaries illustre, si vous en doutiez, qu'il y a un travail de préparation de plusieurs années avec toute une équipe derrière qui cogite et prépare ces bêtes de course que sont les 60 pieds dans les moindre détails pour parer au maximum d'éventualités.

 

 

Question / Réponse sur le forum :

 

Question de Beorne : "Il y a une chose encore que je vois mal: une fois la drisse remplacée par une drisse de secours "à poste", pourquoi doit-il encore grimper dans le mât pour réparer? Tu parles de "réparation réelle". Que doit-il faire là-haut? "à poste" ne veut pas dire qu'elle est déjà installée?"

 

Réponse de Nam : "Beorne, Mike a "changé" la drisse cassée par une de secours. Mais celle KC reste KC et même si il n'y a pas urgence il faut la remplacer (pour qu'en cas de nouvelle casse il puisse rejouer son petit numéro !). Et c'est pour cela que Mike doit remonter.

 

Une fois en haut il récupère la drisse KC, par exemple sur le hook (voir Note 1), puis la répare par exemple refait le "bout" (couper + remettre le système d'attache) et surtout il la redescendre en bas ... pour son prochain usage. Parce qu'une drisse dont une extrémité est en haut ça sert à rien voir les naviguant estivaux obligés de coucher leurs dériveurs ou cata sur la plage avant de pouvoir hisser leur GV.

 

Bien sûr le boulot exacte à réaliser dans cette ascension dépend de l'avarie elle-même : la casse peut avoir plusieurs origines et se manifester de différentes manières ... je n'ai pas le turban et Mike n'a pas donné plus de détails mais souvent, le truc pête en raison du raguage (usure du textile de la drisse sur une pièce plus dure comme le métal par exemple) et dans ce cas on n'est pas à l'abri que l'avarie se reproduise dans un délai assez bref !"

 

Compléments :

J'ajoute que c'est là que réside la difficulté : juger de l'urgence relative de réparer, des conditions de mer et du moment opportun pour le faire ... Mike n'a pas hésité longtemps et s'est lancé dans l'ascension. Je pense qu'il n'a pas à le regretter car une nouvelle avarie de ce type lui est arrivé en ce vendredi 14 janvier et s'il ne semble pas pouvoir réparer immédiatement (là aussi on manque d'info techniques). Comme ça il a la conscience tranquille et peu se dire : "mauvaise fortune mais j'avais fait le maximum".

 

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Note 1 : Après réflexion Mike ne doit pas posséder de hook de grand-voile. Pour info un hook c'est un crochet (rappelez-vous "Captain Hook" dans Peter Pan !) qui permet d'accrocher la grand voile sur le mat et de libérer la tension sur la drisse. Ainsi on réduit les efforts de compression sur l'espar. Si Mike en avait un de hook la grand-voile ne serait certainement pas "tombée" sur le pont. En plus un hook cela doit être trop dangereux en solo : si problème de hook la grand-voile reste bloquée en l'air et là aie aie aie faudrait pouvoir en même temps être à la barre et monter dans le mat quelques soient les conditions ! Donc les hook c'est certainement réservé aux engins de plage type Hobie Cat ou aux Class America voire à certains trimarans (il me semble par exemple que Franck Camas en a équipé son dernier Groupama, peut-être pour les régates en équipage uniquement). Bon comme d'hab de toute façon comme personne ne comprend rien à ce que je dis, la boulette était passée inaperçue ;-).

 

 

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. Révision 2.0 du 15/01/2005 : ajout d'un extrait du forum Gens de Mer et de commentaires supplémentaires

. Révision 1.0 du 13/01/2005 : ajout du texte à partir du paragraphe "Annexe : le choix de doubler les drisses et ses conséquences"

 

Publié dans Vendée Globe 2004

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